Conférences

Symposium 2022 – Particularités cognitives entre normalité et troubles

Mot de la présidente

En psychologie comme en psychiatrie, les classifications ont pour but d’identifier des populations homogènes afin de favoriser la recherche et faciliter le traitement. En clinique, on se rend cependant rapidement compte que nombre de symptômes et facteurs de risque sont communs à plusieurs de ces catégories et en complexifient le diagnostic comme le traitement.

Maryse Lassonde, neuropsychologue, ouvrira ce symposium sur les Particularités cognitives entre normalité et troubles, qui se veut un remue-méninge sur ces multiples « étiquettes » qui viennent souvent brouiller les décisions concernant les ou la meilleure conduite à tenir. Son implication dès les tout débuts de la neuropsychologie au Québec et à l’étranger, tant comme chercheure que comme clinicienne et plus particulièrement comme la directrice de thèse qu’elle a été pour moi et pour tant d’autres étudiants, lui donne la plus grande autorité pour introduire notre thème.

Dans le DSM-5, l’introduction de modèles spectraux (autisme, schizophrénie, alcoolisation fœtale…) permet d’aborder l’aspect dimensionnel des troubles mentaux plutôt qu’exclusivement catégoriel, mais au moment où arrive le traitement, tient-on vraiment compte de ces aspects dimensionnels? Dans leur présentation, Les TDN (troubles neurodéveloppementaux): de l’inflation de diagnostics à l’insuffisance de réponses aux situations de handicap, Alain Pouhet, pédopsychiatre, et Michèle Cerisier, neuropsychologue, aborderont cet épineux problème de la correspondance entre diagnostic et traitement.

En raison de performances hors-normes dans tel ou tel domaine du comportement, des apprentissages, de l’interaction sociale, de la communication…, des diagnostics médicaux, psychologiques et neuropsychologiques sont régulièrement posés auprès d’enfants de tous âges jusqu’à l’âge adulte. Parfois même, des manifestations cliniques multiples et variées chez un individu en imposent pour un double, ou même un multiple diagnostic, ce qui entraîne presque toujours des difficultés voire des troubles d’apprentissage ou d’adaptation scolaire. Comment s’assurer d’un juste diagnostic dans ces cas complexes afin d’intervenir adéquatement? Comment éviter aussi une surenchère de diagnostics?

Au Québec, par exemple, le problème que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité soulève est devenu un enjeu de société. La très forte croissance des diagnostics de TDA/H inquiète certains et la consommation de médicaments atteint des sommets inégalés. Dans certains cas, il s’agit d’un véritable TDA/H. Parfois les symptômes cachent une autre problématique qui passe sous silence. Le diagnostic de TDA/H est-il bien posé? Un diagnostic plus récent a fait son apparition Le Sluggish cognitive tempo (ou rythme cognitif lent). Sébastien Henrard, neuropsychologue, qui s’est particulièrement intéressé à cette entité nosographique, nous permettra de voir la distinction qu’on peut en faire avec les symptômes d’autres diagnostics pouvant entraîner une certaine confusion.

Depuis quelques années, on assiste également à une augmentation de diagnostics du trouble du spectre de l’autisme (TSA). Selon l’INSPQ, les résultats montrent un accroissement constant du TSA dans le temps. Avec sa présentation Autisme: hétérogénéité des profils cognitifs et trajectoires développementales, Isabelle Soulières, professeure et neuropsychologue, nous fera part de la complexité de ce diagnostic qui contribue parfois à des conclusions erronées. Il est, en outre, quelques fois difficile de distinguer les manifestations typiques d’un autisme, de celles d’un trouble de la communication sociale, c’est ce que nous propose Boutheina Jemel, professeur à l’école d’orthophonie et d’audiologie, dans sa conférence sur Le trouble de la communication socio-pragmatique (TCSP), une enclave diagnostique à démystifier.

Tout comme pour l’autisme, les références en neuropsychologique pour le Haut Potentiel Intellectuel (HPI) ont explosé dans les dernières années; celui-ci n’étant pas un diagnostic, mais un état, l’enfant nous est amené parce que, malgré son potentiel, il présente des difficultés d’apprentissage. Michel Habib, neurologue, les appelle Les HPdys (haut potentiel) ou enfant doublement exceptionnel, vis-à-vis desquels il nous expliquera comment les données issues des neurosciences et de la neuroimagerie sont venues récemment conforter ses impressions cliniques en rendant plausible un modèle de dysfonctionnement de certains circuits cérébraux.

Les premières estimations de prévalence pour le syndrome de Tourette (SGT) étaient de 1/20,000 en 1987 (Lussier, 1992), soit 0,005%. En 2007, un échantillon représentatif estimait cette prévalence à 0,3% pour doubler entre 2011-2012 s’élevant à 0,6%, et en 2018 à 0,77%. Simon Morand-Beaulieu, chercheur post-doctorant en neuropsychologie, et Audrey Veilleux, doctorante en psychologie clinique, dans leur présentation Tics, TOC, TDAH ou TSA… Des comportements répétitifs au manque d’inhibition, quel est le vrai visage du syndrome de Gilles de la Tourette? discutent des troubles qui y sont souvent associés, complexifiant le diagnostic principal de SGT, et proposent des interventions spécifiques selon la diversité des profils cliniques et la présence de cas complexes.

Une meilleure connaissance des mécanismes impliqués dans la cognition sociale peut-elle apporter un apport à notre compréhension des cas complexes? C’est ce que nous propose Baudouin Forgeot d’Arc, psychiatre et chercheur dans sa présentation: Cognition sociale en neurodéveloppement. De la théorie à la pratique.

Pour clore le symposium, Une étude de cas complexes avec multidiagnostic nous sera présentée par Sibylle Gonzalez Monge, neurologue et Claire Mouchard Garelli, ergothérapeute. Par son contenu étoffé, cette présentation permettra, par le fait même, aux participants, de réfléchir aux nombreuses connaissances et considérations discutées tout au long de la journée.

Dre Francine Lussier, Ph. D., neuropsychologue

Comité d’organisation du symposium

Julie De Serres
Danielle Bilodeau
Francine Lussier

Comité scientifique

Dre Francine Lussier, neuropsychologue
Dre Annie Stipanicic, neuropsychologue

Conférences

  • Alain Pouhet, Michèle Cerisier-Pouhet: Les TDN (troubles neurodéveloppementaux) : de l’inflation de diagnostics à l’insusance de réponses aux situations de handicap

    Cette situation paradoxale serait-elle issue d’un usage immodéré du DSM5 qui précise un seuil à atteindre, considéré comme « hors norme », pour « prétendre » au diagnostic de TND?

    Certains patients/clients évalués trop rapidement, sans la rigueur nécessaire, avec de simples questionnaires dont on connait l’aspect personnes-dépendantes, sont diagnostiqués très-trop rapidement alors que la réponse à leur besoin pourrait -peut-être- relever, dans une société véritablement inclusive, de mesures de droits communs. D’autres n’atteignant pas ce seuil n’entrent pas dans les critères diagnostics. Ils présentent pourtant des besoins et attendent légitimement une compensation d’une situation de handicap patente.

    C’est ce rapport à une norme « couperet » mais toute relative, toute culturelle, qui interroge les cliniciens. Le HPI par exemple reste fondamentalement la constatation d’un potentiel lui aussi « hors norme » et ne représente pas « un diagnostic » ni un TND.

    Le DSM 5 restant en 2020 étonnament catégoriel, ne devrait-on pas insister sur un abord dimensionnel rendant compte des forces et des faiblesses des sujets? L’abord catégoriel renvoie au rapport à la norme et à des mesures d’aides stéréotypées évacuant la complexité des situations de restrictions de participation que seule l’évaluation dimensionnelle permet.

  • Simon Morand-Beaulieu, Audrey Veilleux : Tics, TOC, TDAH ou TSA... Des comportements répétitifs au manque d’inhibition, quel est le vrai visage du syndrome de Gilles de la Tourette?

    Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) se caractérise par la présence de tics moteurs et sonores. Toutefois, près de 80% des jeunes ayant le SGT manifestent aussi les symptômes de troubles associés. Ainsi, il devient difficile de faire le dépistage et l’évaluation diagnostique du SGT en raison de manifestations similaires ou concomitantes. En outre, l’intervention par la psychothérapie spécialisée ou par les recommandations d’intervention pour la maison ou le milieu scolaire est affectée par la diversité des profils cliniques et la présence de cas complexes.

    Cette présentation vise à approfondir les connaissances des participants quant aux différents aspects des troubles tics et des troubles associés, notamment (1) en présentant les corrélats neurobiologiques et neurocognitifs du SGT; (2) en permettant de faire la distinction entre les principales manifestations de comportements répétitifs et les problèmes de comportements inhérents à un manque d’inhibition; et (3) en outillant les participants par la présentation de stratégies d’intervention et de psychothérapies recommandées dans le domaine.

  • Michel Habib : Les HPdys (haut potentiel) ou enfant doublement exceptionnel

    Au sein de la vaste problématique du haut potentiel intellectuel, s’intéresser aux enfants et adolescents qui sont en difficulté scolaire peut paraître paradoxal. Ce qui vient à l’esprit, dès lors, est plutôt d’imaginer que cette difficulté résulte d’un décalage entre le profil intellectuel de l’écolier ou du collégien, et le contenu ou la forme de l’enseignement qui lui est donné. Il est moins aisé (et moins fréquent) de concevoir que ces enfants puissent présenter en fait une double caractéristique (d’où leur dénomination en anglais de « twice exceptionals ») d’avoir à la fois des compétences supérieures dans un domaine et inférieures à la norme dans un autre.

    Il semble pourtant que cette double occurrence soit de plus en plus souvent rencontrée parmi les élèves référés à nos services pour difficulté d’apprentissage, au point de pouvoir être reconnue comme une entité nosographique. Dans la grande majorité des cas, c’est le domaine verbal qui est le plus haut, et le raisonnement non verbal qui paraît en décalage. Nous proposons de dénommer cette condition particulière « HPDYS », par référence au concept de troubles dys actuellement admis dans la communauté clinique (au moins francophone) et de l’inclure dans le cadre plus vaste des troubles neurodéveloppementaux, tels que définis dans le DSM-5.

    L’objection souvent opposée à un tel point de vue est qu’il est délicat de considérer ce qui est habituellement un avantage comme un trouble, ce à quoi on pourra répondre en rappelant que la dyslexie, par exemple, est elle-même considérée comme un trouble, alors qu’elle est décrite comme la portion basse de la normalité. Les données issues des neurosciences et de la neuroimagerie sont du reste venues récemment conforter ces impressions cliniques en rendant plausible un modèle de dysfonctionnement de certains circuits cérébraux, en grande partie déterminé génétiquement, dont le phénotype clinique serait caractérisé par la coïncidence non fortuite entre une intelligence générale, en particulier verbale, au-delà de la norme et un défaut de développement de composantes cognitives, en particulier non-verbales.

    Une revue de la littérature en neuroimagerie est fournie ici en appui de ce point de vue. Des implications cliniques, thérapeutiques et socio-éducatives sont proposées.

  • Isabelle Soulières: Autisme : hétérogénéité des profils cognitifs et trajectoires développementales

    Les diagnostics d’autisme sont en augmentation constante depuis plusieurs années, en parallèle à une évolution des critères et pratiques diagnostiques. L’hétérogénéité des caractéristiques des personnes qui reçoivent un diagnostic est ainsi plus grande qu’auparavant. Avec l’élargissement des critères diagnostiques, est-il encore possible d’identifier un ou des profils cognitifs caractéristiques? Quels sont les profils attendus et évoluent-ils au cours du développement? Ces profils cognitifs peuvent-ils aider au diagnostic et à la prise en charge? Cette présentation abordera la question de l’hétérogénéité des profils cognitifs retrouvés sur le spectre de l’autisme, en tentant de répondre à ces questions.

  • Sébastien Henrard : Le Sluggish Cognitive Tempo (ou rythme cognitif lent)

    Le Sluggish Cognitive Tempo (ou rythme cognitif lent en français) est un trouble caractérisé par une hypo activité, des difficultés attentionnelles, des difficultés d’initiation de l’action ainsi qu’un vagabondage mental important.

    Ce trouble encore trop méconnu dans les pays francophones touche pourtant un grand nombre de patients et est souvent confondu avec d’autres problématiques comme de l’anxiété, de la dépression ou encore des troubles du sommeil et de la somnolence diurne.

    Ce trouble se doit d’être reconnu et accompagné au regard des difficultés et retentissements importants qu’il peut avoir au niveau des apprentissages, des relations sociales ou encore au sein de la vie adulte (travail, couple…).

    Dans cette présentation j’aurai à cœur d’aborder la définition, la symptomatologie mais également le dépistage de cesyndrome. Pour finir j’aborderai les pistes actuelles d’accompagnement. L’objectif poursuivi sera celui de faire unesynthèse actuelle des données nous permettant de mieux cerner cette particularité tout en restant conscients de l’énormetravail qu’il nous reste à accomplir pour mieux cibler cette particularité.

  • Boutheina Jemel : Le trouble de la communication socio-pragmatique (TCSP), une enclave diagnostique à démystifier

    L’apparition d’une nouvelle catégorie diagnostique introduite par le DSM-5, le trouble de la communication socio-pragmatique (TCSP), caractérisé par des problèmes de communication sociale verbale et non verbale, susciteplusieurs débats sur sa validité. Aux abords de deux catégories diagnostiques plus anciennes, le TCSP se retrouveenclavé entre, d’une part les signes cliniques du trouble du spectre de l’autisme (TSA) et d’autre part, ceux dutrouble développemental du langage (TDL). L’absence d’outils diagnostiques formels du TCSP et le flou conceptuelqui s’y rattache menacent la pérennité d’une telle catégorie nosographique. Au cours de la présentation, on tenterade remonter aux sources du TCSP et d’exposer l’état d’avancement de la recherche sur les manifestations cliniquesdu TCSP par rapport au TSA et au TDL.

  • Baudouin Forgeot d'Arc : Cognition sociale en neurodéveloppement. De la théorie à la clinique

    Les interactions sociales sont omniprésentes : nous sommes dépendants des autres pour répondre à nos besoins les plus élémentaires, c’est pourquoi nous avons constamment besoin de nous ajuster pour établir et maintenir des liens, comprendre et nous faire comprendre. Quels sont les mécanismes de l’esprit humain qui nous permettent de répondre aux différents défis posés par l’interaction avec nos congénères? On parle parfois de « théorie de l’esprit », de reconnaissance des émotions, ou encore de motivation sociale… Comment ces processus peuvent-ils être différents d’une personne à l’autre? Et comment la diversité de ces mécanismes entre les individus est-elle liée à des diagnostics ou des fonctionnements différents? Comment, dans la pratique clinique, y voir plus clair dans le fonctionnement social? Voici une conférence pour explorer les enjeux et les outils de la compréhension et de l’évaluation de la cognition sociale. Nous discuterons la place que prend l’évaluation de la cognition sociale dans la pratique clinique auprès des personnes autistes, ou avec syndrome de Tourette, troubles anxieux, TDAH.

  • Sibylle Gonzalez-Monge, Aurélie Richard-Mornas, Claire Mouchard-Garelli et Céline Perez-Guillaumet : Une étude de cas complexe avec multidiagnostic

    Un avis diagnostique est demandé pour Jacques (13;11 ans) qui a un trouble sévère du langage. Selon l’orthophoniste, il n’est pas lecteur. L’enfant présente également des comportements étranges qui font évoquer un TSA. Il bénéficie d’une prise en charge rééducative pluridisciplinaire depuis plusieurs années. Ses parents transmettent les conclusions des différents bilans: trouble du langage oral (compréhension, difficultés lexicales), trouble du langage écrit (avec une atteinte des 2 voies de lecture), dysgraphie qualitative associée à un trouble de la conversion grapho-phonémique, trouble développemental de la coordination (praxies gestuelles et visuo-spatiales), trouble de l’attention et trouble majeur des fonctions exécutives malgré le traitement médicamenteux de méthylphénidate, empan visuo-attentionnel perturbé, difficultés oculomotrices et visuo-perceptives; « un diagnostic ou un inventaire à la Prévert? » nous dit le père. Les parents de Jacques s’interrogent, croulent sous cette multitude de bilans et de troubles évoqués. Ils sont en quête d’un diagnostic.

    Les professionnels sont souvent confrontés à ce type de situation clinique. S’agit-il de plusieurs pathologies répondant à des perturbations cognitives multiples nécessitant alors d’envisager différentes interventions thérapeutiques ou bien s’agit-il d’une seule perturbation cognitive s’exprimant à travers plusieurs fonctions orientant alors vers une seule solution thérapeutique. Le processus de démarche diagnostique permettant d’évoquer plusieurs hypothèses vérifiées successivement à l’aide de tests complémentaires sera présenté.